Sabot d’Ivoire

Je fredonne « Radioactive » d'Imagine Dragons, alors que je nettoie les boxes de mes chevaux, qui broutent au pré.

Je pense à Gabriel, à notre sortie au café...

Rien de spécial ne s'était passé. Mais j'y pense toujours. Un moment j'avais ma main sur la table, et la sienne tenait l'anse de sa tasse de café. Deux secondes plus tard, elle quittait l'arc de verre et passait à deux centimètres de mes doigts... Je l'avais vue mais je n'ai rien fait. Je n'ai osé rien faire, car pour lui je ne suis qu'une amie.

Je serre les dents et avec la fourche, ratisse la litière plus vigoureusement. Je soupire, puis me calme. Je dois faire mon travail, ces pensées me déconcentrent.

Après avoir changé la litière – de lin, bien sûr – des boxes, je m'acharne sur les abreuvoirs ainsi que les coins de fourrage.

À 10h, tout est terminé. Je suis donc prête à emmener Sabot d'Ivoire au travail à la longe! Aujourd'hui j'y vais seule, pour faire le point entre autres. Je ne m'exposerai pas à la source de mon émoi pour justement mieux y penser.

Je vous épargne comme toujours la préparation, le voyage ainsi que l'harnachement. Assise sur ma jument, je commence au trot, pour l'échauffer. Je n'en fais pas longtemps, parce que je sens Sab' désirer passer au grand galop.

J'y vais donc par intervalles de quelques minutes de galop, quelques-unes de trot, et ensuite d'autres de marche. Bien sûr je fais plus de galop que des autres types de pas.

Alors que je guide ma jument, je réfléchis sur ma relation avec Gabriel. J'en viens à la conclusion que je devrais l'observer, apprendre à le connaître, et si jamais je sens avoir une chance avec lui, je prendrai le courage de lui dire. Sinon... je ne sais pas encore.

Tiendrai-je seulement assez longtemps?

Je tire sur les rênes de ma jument et regarde aux alentours. Et si je la faisais galoper librement?

Je débarque du dos de ma monture, la prépare, lui donne un navet et la fais galoper. Elle m'obéit au doigt et à l'œil, et avec talent.

Quelque temps plus tard, je lui demande de revenir, mais elle me jette un de ces regards que nous, cavaliers, comprenons instantanément. Elle veut continuer. Je la croyais pourtant fatiguée, mais elle semble décidée, déterminée de voir se coucher le soleil.

« Allons pour une extension, ma belle. Mais quand je te dirai d'arrêter, ce sera ainsi. »

Je remarque encore plus l'effet que la lymphe a eu sur son corps, et sur sa tête. Plus déterminée, plus endurante, plus courageuse, plus... plus tout. Ça me fait penser à la chanson que j'ai chantée tout à l'heure, Radioactive.

Serait-elle devenue comme « radioactive », depuis qu'elle a bu cette potion?

Je pense à cela dans la voiture, sous la lumière topaze brûlée du crépuscule, ma jument un peu épuisée en arrière, dans la section réservée à un cheval.

Oui, radioactive.