Il fait pas mal beau dehors. Les arbres ouvrent les bras aux passants avec leurs branches touffues, alors que le vieux pavé sur le bord des rues est complètement dénué de neige, une première depuis quatre mois. Dame Nature est de bonne humeur, mais nous sommes assez habitués par ses changements soudains de tempérament. Un jour elle nous éblouit avec son ciel vide de nuage et plein de lumière, et puis le lendemain nous sommes obligés de supporter ses pleurs et ses lamentations.
Peut-être que chez nous lorsqu'il fait froid nous nous plaignons d'avoir les doigts gelés, et que lorsqu'il fait chaud nous nous plaignons d'avoir mal à la tête, mais venez donc passer une semaine dans notre pays, le Québec, en mars ou en avril, vous comprendrez pourquoi nous sommes ainsi.
Pensant à cela, j'arpente les rues de ma ville en observant ce paysage lent et un peu laid, avec les bords de rue couverts de pelouse jaune, ainsi que les vestiges noir charbon d'un hiver trop enneigé.
« Pourquoi sont-ils partis sans moi? », je me demande soudainement. Rémy m'a dit qu'ils ne voulaient pas de moi dans ce voyage, « par souci de sécurité ». Je ne vois pas ce que j'ai pu faire de non sécuritaire en fin de semaine dernière. À part avoir mis le feu à la grange. Peut-être que c'est cela.
Samedi dernier, mes amis, ou bien mes compagnons d'aventure, et moi sommes allés faire du camping dans une forêt, au bout d'un cul-de-sac dans un village sans nom, et nous nous sommes installés dans une petite grange abandonnée, dans le but d'y passer trois jours en mode survie. Le lendemain de notre arrivée, j'ai vu un petit insecte sur le plancher de bois sec et je l'ai observé avec ma loupe. Mon erreur, c'est d'avoir laissé l'outil sur le sol après l'avoir utilisé et, à cause de la qualité impeccable de notre logis de fortune, une brèche de lumière solaire est arrivée directement sur la lentille de verre, et puisque nous étions partis chasser, hé bien le tout a flambé comme un steak laissé trop longtemps sur le gril.
Mais pourquoi m'abandonner pour cela? Personne n'est mort! Bon, j'ai aussi blessé Catherine avec un morceau de verre, mais elle n'avait qu'à ne pas être derrière moi alors que je m'occupais...
Je ne vous l'avais pas dit, mais je suis aussi un peu étrange et marginale. Je n'aime pas trop les histoires d'apparence et de beauté. Je préfère être simple, me ramener à l'essentiel. « Selfies », Facebook, Snapchat, et blablabla, hors de ma vue! Je trouve ridicule les gens qui passent leur précieux temps à se mettre beau pour les autres. J'ai cassé mon premier miroir à douze ans. Vous seriez surpris de savoir que c'était un accident. En fait, je revenais d'un tour dans le petit boisé derrière ma maison, et en courant, mon coude a frappé le miroir, ce qui l'a fait tomber et se casser. Depuis ce jour, je trouve fascinant comment la lumière est déviée par les craques de verre, comment l'hypocrisie générale est représentée en nous montrant notre vrai visage. Oui, celui que personne ne veut voir, celui qui divise notre tête en milliers d'autres, qui représentent tous ces masques que nous nous mettons pour avoir l'air « cool », pour bien paraître. Nous sommes bien plus vrais comme ça, divisés en multiples personnalités.
Le souvenir des autres qui s'en vont dans la forêt sans moi me transperce la mémoire et me fait vaciller. J'avais presque oublié. Oui, presque. Une légère brise me caresse les joues, et je continue de marcher, cherchant des yeux le bâtiment que je recherche. Quelques minutes plus tard, un petit magasin végétarien s'affiche devant moi. Je prends ce dont j'ai besoin, puis décide que si personne ne veut de moi, la dernière personne qui doit m'abandonner, c'est bien moi-même. J'irai en road trip seule.
Le ciel est étrangement toujours bleu, alors que quelques nuages rendent le paysage un peu moins irréel. Je roule sans empressement, alors que du rock des années 70 m'enlève de la tête la perte de mes compagnons. Je me rends compte, entre « Stayin' Alive » et « Bohemian Rhapsody », qu'ils n'étaient pas si géniaux après tout. Peut-être qu'il est rassurant d'être en groupe et excitant de partager ses souvenirs, mais quelles relations étroites ai-je formées de ces personnes? À part deux ou trois maigres couples sans réel amour, je n'y ai pas franchement gagné.
Même si je suis accompagnée par ma solitude, mon aventure s'avère en fait très intéressante à vivre, car je me sens complètement libre. Je décide de ce que je mange, d'où je vais, et je n'ai plus de reproches à gober, ni d'ordres à respecter. Alors que je fredonne une chanson rock indépendante, voulant augmenter le volume, j'accroche le bouton de la radio et une tout autre musique se met à jouer dans mes oreilles. Je souris lorsque je reconnais « Embarque ma belle » de Kain.

Chanson : https://youtu.be/OPLVibhTVjs